La Svastika à travers la monnaie : voyage d'un symbole sacré à l'emblème nazi
Introduction
La monnaie constitue un témoignage historique privilégié pour retracer l'évolution des symboles à travers les époques. Support de communication officiel par excellence, elle reflète les valeurs, les croyances et l'idéologie des sociétés qui la frappent. L'histoire de la svastika gravée sur les pièces et les billets révèle de manière saisissante la transformation d'un symbole millénaire de prospérité en instrument de propagande totalitaire.
Les premières svastikas monétaires : Antiquité et spiritualité
Les monnaies indo-grecques et indiennes anciennes
Les plus anciennes représentations monétaires de la svastika remontent à l'Antiquité, particulièrement dans le sous-continent indien où le symbole revêtait une signification profondément religieuse.
Les pièces Janapadas (VIe-IVe siècle av. J.-C.) : Ces premières monnaies indiennes, antérieures à l'empire Maurya, portaient fréquemment des svastikas parmi d'autres symboles religieux. Frappées en argent ou en cuivre, elles circulaient dans les royaumes du nord de l'Inde et témoignent de l'importance du symbole dans la vie économique et spirituelle.
Les pièces indo-grecques (IIe-Ier siècle av. J.-C.) : Après les conquêtes d'Alexandre le Grand, les royaumes hellénistiques d'Asie centrale et d'Inde ont produit des monnaies fascinantes mélangeant iconographie grecque et symbolisme indien. Des rois comme Ménandre Ier ont fait frapper des pièces où la svastika apparaît aux côtés de divinités bouddhistes, illustrant le syncrétisme religieux de l'époque.
L'Empire Gupta et l'âge d'or hindou
Les dinars Gupta (IVe-VIe siècle ap. J.-C.) représentent l'apogée de l'utilisation religieuse de la svastika sur la monnaie. L'Empire Gupta, considéré comme l'âge d'or de la civilisation hindoue, produisit des pièces d'or somptueuses où la svastika symbolisait la bénédiction divine et la prospérité du royaume.
Ces pièces montrent souvent :
- Le souverain en posture de cérémonie avec des svastikas autour
- La déesse Lakshmi (prospérité) accompagnée de svastikas
- Des scènes rituelles où le symbole marque le caractère sacré
La présence de la svastika sur ces monnaies n'était pas simplement décorative : elle constituait une garantie spirituelle de la valeur et de l'authenticité de la pièce, invoquant les forces cosmiques favorables aux échanges commerciaux.
Les monnaies bouddhistes d'Asie
Dans toute l'Asie bouddhiste, du Tibet au Japon, la svastika ornait régulièrement les monnaies :
Les pièces tibétaines : Jusqu'au XXe siècle, les tangkas tibétaines portaient fréquemment des svastikas, symbole des huit signes auspicieux du bouddhisme.
Les pièces chinoises et japonaises : Le caractère chinois "wan" (萬), représentant dix mille ou l'infini, est graphiquement lié à la svastika et apparaît sur certaines monnaies comme symbole de longévité et de fortune.
La svastika en Europe avant le nazisme
Les monnaies de la Grèce antique
La svastika, appelée "gammadion" en grec qui tien son nom de 4 gamma, apparaît sur les monnaies de plusieurs cités grecques antiques :
Les monnaies de Corinthe, de Byzance et de Macédoine (Ve-IIIe siècle av. J.-C.) portaient occasionnellement des svastikas comme motifs décoratifs. Le symbole était associé au mouvement cyclique, au soleil et à la chance, sans connotation ethnique ou raciale.
Ces pièces circulaient largement en Méditerranée, témoignant d'un usage banal et positif du symbole dans l'Antiquité classique.
Les potins gaulois à la svastika
En Gaule celtique, avant la conquête romaine, un type monétaire particulier mérite une attention spéciale : les potins à la svastika.
Les potins étaient des petites pièces de monnaie coulées en alliage de bronze, de plomb et d'étain, qui circulaient largement dans le nord-est de la Gaule entre le IIe siècle av. J.-C. et la conquête romaine (52 av. J.-C.). Ces monnaies populaires, de faible valeur, servaient aux transactions quotidiennes du peuple gaulois.
Le type "à la svastika" constitue l'une des émissions les plus répandues et les plus reconnaissables. Ces potins présentent généralement :
- À l'avers : une tête stylisée, souvent réduite à ses traits essentiels
- Au revers : une svastika bien visible, parfois accompagnée d'autres symboles géométriques ou animaliers
L'origine et la signification : La présence de la svastika sur ces monnaies gauloises témoigne de la diffusion paneuropéenne de ce symbole dans l'Antiquité. Plusieurs interprétations ont été proposées par les numismates :
- Un symbole solaire lié aux cultes celtes de la lumière et des cycles naturels
- Une représentation du mouvement cosmique et de la roue du temps
- Un signe de protection et de bon augure pour les transactions commerciales
- Une influence des contacts commerciaux avec les civilisations méditerranéennes et orientales
L'importance archéologique : Ces potins ont été découverts en grande quantité lors de fouilles archéologiques à travers la France, la Belgique et l'ouest de l'Allemagne. Leur abondance témoigne de l'importance économique et de la circulation monétaire intense dans la Gaule pré-romaine.
La redécouverte au XIXe siècle
Lorsque les archéologues du XIXe siècle, notamment Heinrich Schliemann lors de ses fouilles à Troie (1871-1890), découvrirent des monnaies antiques ornées de svastikas, cela provoqua un regain d'intérêt en Europe.
L'interprétation romantique germanique : Les nationalistes allemands et autrichiens commencèrent à voir dans ces découvertes la preuve d'une continuité "aryenne" entre les anciennes civilisations indo-européennes et les peuples germaniques. Cette lecture pseudoscientifique prépara le terrain pour l'appropriation ultérieure.
L'usage occidental innocent (1870-1933)
Entre la fin du XIXe siècle et l'avènement du nazisme, la svastika apparut sur diverses émissions monétaires et médailles en Occident, toujours avec une connotation positive :
Les jetons et médailles porte-bonheur : En Europe et en Amérique du Nord, des médailles commémoratives, des jetons de mariage et des pièces de bonne fortune portaient des svastikas, considérées comme des talismans.
Les monnaies de nécessité : Durant la Première Guerre mondiale et l'immédiat après-guerre, certaines villes allemandes et autrichiennes émirent des monnaies locales (Notgeld) ornées de svastikas, encore perçues comme symboles de chance et de prospérité dans un contexte de crise économique.
La médaille de Coca-Cola : En 1925, la compagnie Coca-Cola distribua aux États-Unis des médailles porte-bonheur ornées d'une svastika, témoignant de l'acceptation totale du symbole dans la culture populaire américaine avant sa perversion nazie.
L'appropriation nazie : la monnaie comme propagande
Les premières utilisations (1923-1933)
Avant même l'arrivée au pouvoir d'Hitler, le Parti national-socialiste utilisait déjà la svastika sur des médailles et des jetons de propagande :
Les médailles commémoratives du Putsch de Munich (1923) : Après la tentative de coup d'État ratée, des médailles clandestines furent frappées montrant la svastika nazie, marquant le début de son instrumentalisation politique.
Les jetons de rassemblements : Durant les années 1920 et début 1930, le parti nazi distribua des jetons et médailles lors de ses rassemblements, tous ornés de la svastika dans sa version inclinée et dans les couleurs du parti.
La monnaie du Troisième Reich (1933-1945)
Dès la prise de pouvoir en janvier 1933, les nazis entreprirent de saturer la vie quotidienne de leur symbole, et la monnaie fut un vecteur privilégié de cette propagande.
Les pièces de circulation courante
La série inaugurale (1933-1939) : Les nouvelles pièces de Reichsmark frappées à partir de 1933 portaient systématiquement la svastika nazie :
- Les pièces de 1 et 2 Reichsmark montraient l'aigle impérial tenant une couronne de laurier entourant la svastika
- Les pièces de 5 Reichsmark commémoratives (Églises de Potsdam, Hindenburg) affichaient ostensiblement le symbole
- Même les petites pièces de 1, 5 et 10 Reichspfennig intégraient la svastika dans leur design
L'évolution durant la guerre (1939-1945) : Avec la guerre, les métaux se raréfiant, les pièces furent produites en zinc et en aluminium, mais la svastika resta omniprésente. Chaque transaction économique, même la plus modeste, rappelait visuellement l'idéologie nazie au citoyen.
La présence de la svastika sur la monnaie de circulation quotidienne visait plusieurs objectifs :
- Normalisation idéologique : Rendre le symbole nazi omniprésent et banal
- Légitimation : Associer le régime à la stabilité économique et l'autorité de l'État
- Endoctrinement : Imprégner inconsciemment la population par la répétition visuelle
Les médailles commémoratives et de propagande
Le régime nazi produisit massivement des médailles commémoratives pour chaque événement significatif :
Les médailles d'Anschluss (1938) : Célébrant l'annexion de l'Autriche, avec la svastika en position centrale.
Les médailles des congrès de Nuremberg : Chaque année, des médailles étaient frappées pour le rassemblement annuel du parti, toutes dominées par la svastika.
Les médailles militaires : Les décorations militaires du Troisième Reich, de la Croix de fer à la Croix allemande, intégraient toutes la svastika, liant directement le symbole aux actes de guerre et aux crimes du régime.
Les territoires occupés
Dans les territoires conquis, les nazis imposèrent leur monnaie :
Le Reichskreditkassenschein : Cette monnaie d'occupation utilisée dans les territoires conquis portait la svastika, imposant visuellement la domination nazie aux populations occupées.
Les ghettos et camps : Certains ghettos comme celui de Lodz émirent leur propre "monnaie" interne, parfois ornée de la svastika, instrument d'humiliation et de contrôle.
La charge symbolique
Sur la monnaie nazie, la svastika n'était plus un symbole spirituel ou un simple porte-bonheur : elle incarnait :
- La pureté raciale : Le mythe aryen et la supériorité germanique
- La puissance militaire : Souvent associée à l'aigle agressif
- Le totalitarisme : L'omniprésence du contrôle étatique
- La conquête : Le projet d'expansion territoriale
Chaque pièce de monnaie devenait un micro-support de propagande, un rappel constant de l'idéologie du régime que les citoyens manipulaient quotidiennement.
L'après-guerre : rupture et continuité
L'élimination du symbole (1945-1948)
Après la capitulation allemande en mai 1945, les Alliés entreprirent un processus de "dénazification" incluant l'élimination de tous les symboles du régime :
Le retrait des monnaies nazies : Les pièces ornées de svastikas furent progressivement retirées de la circulation. Dans les zones d'occupation, de nouvelles monnaies furent introduites sans aucun symbole nazi.
La Reichsmark d'occupation alliée (1944-1948) : Les Alliés avaient préparé une monnaie de remplacement déjà avant la fin de la guerre, délibérément dépourvue de toute référence au régime nazi.
La réforme monétaire de 1948 : Avec l'introduction du Deutsche Mark en Allemagne de l'Ouest et du Mark en Allemagne de l'Est, la rupture symbolique fut complète. Les nouvelles monnaies portaient des symboles démocratiques ou socialistes, jamais la svastika.
Le marché numismatique et la mémoire
Les pièces nazies posent depuis lors un dilemme éthique dans le monde de la numismatique :
La collection historique : Les pièces du Troisième Reich sont des documents historiques importants pour comprendre la propagande nazie. Les musées et les collections académiques les préservent à des fins éducatives.
Le problème du néonazisme : Certains collectionneurs néonazis recherchent ces pièces non pour leur valeur historique mais pour leur idéologie. Cela crée une tension dans le marché numismatique.
Les législations nationales : En Allemagne et en Autriche, la vente de ces pièces est strictement encadrée. Elles ne peuvent être vendues qu'avec un contexte historique clair et à des fins éducatives, jamais comme objets de glorification.
La continuité de la svastika sacrée en Asie
Les monnaies asiatiques modernes
Pendant que l'Occident bannissait la svastika, les nations asiatiques continuèrent de l'utiliser dans son sens originel :
L'Inde indépendante : Après 1947, certaines pièces commémoratives et médailles religieuses indiennes ont continué à porter des svastikas, symbole de bonne fortune dans la tradition hindoue et jaïne.
Le Népal : Jusqu'à récemment, certaines monnaies népalaises portaient des svastikas dans un contexte clairement religieux.
Les médailles bouddhistes : Au Tibet, en Thaïlande, au Japon et dans d'autres pays bouddhistes, des médailles religieuses et des amulettes monétiformes continuent d'afficher la svastika comme l'un des signes auspicieux.
Le dilemme de la globalisation
Avec la mondialisation et le tourisme international, des incidents se sont produits :
Les touristes occidentaux choqués de voir des svastikas sur des objets et des structures en Asie, y compris parfois sur des souvenirs ressemblant à des monnaies.
Les communautés diasporiques hindoues et bouddhistes en Occident qui hésitent à utiliser des objets religieux portant des svastikas, de peur d'être incomprises ou agressées.
Les plateformes de vente en ligne qui parfois censurent automatiquement la vente de pièces et médailles asiatiques authentiques portant des svastikas religieuses, les confondant avec des objets nazis.
Les pièces commémoratives modernes : enseigner l'histoire
Depuis 1945, quelques nations ont émis des pièces commémoratives évoquant la Seconde Guerre mondiale et la Shoah :
Israël a produit plusieurs pièces commémoratives pour les anniversaires de la fin de la guerre et en mémoire de la Shoah. Aucune ne reproduit la svastika, mais elles montrent les étoiles de David jaunes imposées aux Juifs et d'autres symboles de persécution.
Les Pays-Bas, la Pologne et d'autres nations européennes ont émis des pièces commémoratives sur la libération et la résistance. Certaines montrent du fil de fer barbelé, des prisonniers, mais évitent généralement de reproduire directement la svastika, symbole trop chargé.
Les médailles éducatives : Des musées comme celui de l'Holocauste à Washington produisent des médailles éducatives où la svastika peut apparaître dans un contexte clairement pédagogique, avec des explications sur son détournement par les nazis.
Conclusion : la monnaie, miroir des civilisations
L'histoire de la svastika à travers la monnaie illustre de manière particulièrement frappante comment un symbole peut être transformé par l'histoire humaine :
Des premières pièces indiennes où elle représentait la bénédiction divine sur le commerce, à la Grèce antique où elle ornait innocemment les monnaies, jusqu'à l'appropriation nazie qui en fit un instrument de propagande totalitaire, la svastika monétaire a traversé des univers de sens radicalement opposés.
La monnaie, objet du quotidien passant de main en main, constitue un vecteur symbolique d'une puissance extraordinaire. En imposant la svastika sur chaque pièce, les nazis cherchaient à normaliser leur idéologie, à la rendre aussi banale et inévitable qu'une transaction commerciale. Cette stratégie de saturation visuelle contribua à l'endoctrinement d'une population entière.
Aujourd'hui, les pièces nazies reposent dans les vitrines des musées, témoignages silencieux d'une époque où un symbole millénaire de paix fut détourné pour servir la machine de guerre et de mort la plus destructrice de l'histoire. Elles nous rappellent que les symboles n'ont pas de signification intrinsèque : ce sont les hommes qui leur donnent sens, pour le meilleur ou pour le pire.
Pendant ce temps, en Asie, la svastika continue d'orner des objets religieux et des amulettes, perpétuant une tradition vieille de plusieurs millénaires, preuve que même la plus terrible perversion ne peut effacer complètement l'histoire ancienne d'un symbole.
La leçon numismatique est claire : nous devons être vigilants quant aux symboles que nous adoptons et propageons, car une fois frappés dans le métal de la monnaie, ils circulent dans les mains de millions de personnes, portant avec eux les valeurs ou les crimes de ceux qui les ont émis.
Découvre ici nos monnaies du 3eme Reich
Article écrit par Thomas Pelissero le 13/10/2025