L'identification de l'atelier de frappe d'une monnaie constitue un élément essentiel de son étude numismatique. En France, les méthodes d'attribution ont considérablement évolué au fil des siècles, passant de l'analyse archéologique pour les périodes anciennes à un système codifié de marques d'ateliers pour les époques modernes et contemporaines.
Les monnaies gauloises : l'archéologie au cœur de l'attribution
Pour les monnaies gauloises, l'absence d'ateliers au sens moderne du terme rend l'identification particulièrement complexe. L'attribution des émissions monétaires repose essentiellement sur les découvertes archéologiques et la répartition géographique des trouvailles. Les numismates attribuent ainsi les monnaies à des peuples ou tribus gauloises en fonction des zones de concentration des découvertes : statères des Parisii, bronzes des Éduens, potins des Leuques, etc.

Cette méthode présente néanmoins ses limites. Certaines monnaies demeurent d'attribution incertaine, faute de données archéologiques suffisantes ou en raison de zones de circulation trop étendues. L'évolution des connaissances conduit d'ailleurs régulièrement à des réattributions. L'exemple emblématique reste celui de la célèbre drachme à tête négroïde, longtemps attribuée aux Tolosates (peuple de la région toulousaine) avant d'être réattribuée aux Volques Arécomiques (région nîmoise) suite à de nouvelles découvertes archéologiques et à une analyse plus fine de la distribution géographique des trouvailles.
Les monnaies romaines : l'apparition progressive des marques d'atelier
Sous la domination romaine, les monnaies frappées en Gaule ne portaient initialement aucune marque distinctive permettant d'identifier leur atelier d'origine. L'archéologie demeure donc un outil précieux pour attribuer ces premières émissions. Ainsi, les caractéristiques stylistiques et métallurgiques, associées aux contextes de découverte, permettent d'attribuer certaines séries à l'atelier de Lugdunum (Lyon), principal centre monétaire de Gaule romaine dès le règne d'Auguste.

C'est progressivement, au cours du IIIe siècle, que des marques d'atelier commencent à apparaître de manière sporadique sur les monnaies impériales. Cette pratique se généralise véritablement au IVe siècle avec la réforme de Dioclétien et le système de la tétrarchie. Les ateliers gaulois portent alors des sigles explicites : LVG pour Lugdunum (Lyon), TRE ou TR pour Trèves, ARL pour Arles, ou encore CON pour Constantia (Arles sous Constantin). Ces marques, généralement placées à l'exergue du revers, sont parfois accompagnées d'indications d'officines permettant une identification encore plus précise.
Les monnaies mérovingiennes : noms de villes et de monétaires
Avec l'effondrement de l'Empire romain d'Occident et l'établissement des royaumes mérovingiens, le système monétaire connaît une profonde transformation. Les Triens (tremissis) d'or mérovingiens portent fréquemment le nom du lieu de frappe, souvent une ville, ainsi que celui du monétaire responsable de l'émission. Ces inscriptions, bien que parfois difficiles à déchiffrer en raison de leur graphie dégradée, constituent la principale source d'identification de l'atelier. On trouve ainsi des mentions comme "PARISIUS MONITA" (Paris) ou "MASSILIA" (Marseille), associées au nom d'un monétaire. Cette période voit une multiplication des lieux de frappe, reflétant la décentralisation du pouvoir politique.
Les monnaies carolingiennes : systématisation et centralisation

La dynastie carolingienne apporte une réforme majeure du système monétaire, notamment sous Charlemagne et ses successeurs. Le denier d'argent devient la monnaie de référence, et l'indication du lieu de frappe se systématise. Les ateliers monétaires, souvent situés dans des villes importantes ou des abbayes, sont clairement identifiés par leur nom gravé sur les pièces. Cette période voit une normalisation progressive des émissions monétaires, qui culmine avec la création d'un système de monnaie royale nationale visant à uniformiser la production et à affirmer l'autorité du pouvoir central face aux émissions locales.
Voir nos monnaies carolingiennes
La période féodale : continuité du système carolingien

Durant la période féodale, le morcellement politique entraîne une fragmentation du droit de battre monnaie. De nombreux seigneurs, évêques et abbayes obtiennent ce privilège régalien. Le système d'identification reste néanmoins proche de celui instauré par les Carolingiens : le nom de la ville ou du lieu de frappe figure généralement sur la monnaie, accompagné du nom ou du titre du seigneur émetteur. Cette multiplication des ateliers crée une grande diversité de monnayages locaux, parfois de qualité très variable, circulant concurremment avec les émissions royales.
Les différents d'atelier symboliques avant Charles VI
Avant la grande réforme monétaire de Charles VI, les ateliers royaux utilisent déjà des systèmes de différenciation, mais de manière moins systématique. Des symboles ou des lettres apparaissent ponctuellement sur les monnaies pour distinguer les productions de différents centres de frappe. Ces marques, appelées "différents", peuvent prendre la forme de petits symboles (croix, étoiles, besants) ou de lettres isolées. Toutefois, l'absence d'un système unifié et la multiplicité des émissions rendent l'identification parfois complexe pour les numismates modernes.
La réforme de Charles VI et le système du point secret
En 1389, Charles VI instaure une réforme majeure qui révolutionne l'identification des ateliers monétaires français. Il crée le système du "point secret", une méthode ingénieuse d'attribution basée sur la position d'un petit point placé par rapport aux lettres de la légende entourant la monnaie.
Le principe est simple mais efficace : chaque atelier se voit attribuer une position spécifique pour le placement du point. Par exemple, le point pouvait être placé avant la première lettre, après la dernière, sous une lettre particulière, ou entre deux lettres déterminées de la légende. En comptant la position du point dans la séquence des lettres et en se référant aux tableaux d'attribution royaux, il devient possible d'identifier avec certitude l'atelier émetteur.

Ce système présente l'avantage de la discrétion : la marque d'atelier ne défigure pas la monnaie et reste difficile à contrefaire pour les faussaires, tout en permettant un contrôle efficace de la production par l'administration royale. Le point secret devient ainsi un outil de gestion et de surveillance du système monétaire royal.
Voir nos monnaies de Charles VI
L'apparition et la généralisation des lettres d'atelier
À partir du XVe siècle, parallèlement au système du point secret, apparaît progressivement l'usage d'attribuer une lettre spécifique à chaque atelier. Ce système, plus lisible et plus pratique, finit par s'imposer définitivement. Sous Louis XII, puis surtout sous François Ier et ses successeurs, l'usage des lettres d'atelier se généralise et se standardise.

Chaque atelier reçoit une lettre distinctive qui figure généralement après la date ou au revers de la monnaie. Ainsi, Paris se voit attribuer la lettre A, Rouen la lettre B, Lyon la lettre D, Toulouse la lettre M, Bordeaux la lettre K, etc. Ce système, beaucoup plus simple à lire que le point secret, facilite considérablement l'identification des monnaies et le contrôle de la production.
Le point secret n'est pas immédiatement abandonné et coexiste quelque temps avec les lettres d'atelier, avant de disparaître progressivement au cours du XVIe siècle, rendu obsolète par la supériorité pratique du système alphabétique.
Les différents de graveur et de maître d'atelier
En complément de la lettre d'atelier, apparaît également le système des "différents" de graveur ou de maître d'atelier. Il s'agit de petits symboles personnels (ancre, fleur, animal, outil, etc.) que chaque responsable d'atelier ou graveur général des monnaies place sur les pièces produites sous sa direction. Ces différents, qui doivent correspondre à la lettre d'atelier, permettent d'identifier non seulement le lieu de frappe mais aussi la période précise et la personne responsable de la production.

Ces marques personnelles servent à la fois de signature artistique et d'outil de contrôle administratif. En cas de problème de qualité ou de titre des monnaies, il devient possible de remonter la chaîne de responsabilité jusqu'à l'individu concerné. Pour les numismates modernes, ces différents constituent des repères chronologiques précieux permettant de dater avec exactitude les émissions monétaires et surtout en cas d'usure de la lettre il permet d'associer la monnaie à un atelier.
La disparition progressive des ateliers provinciaux
L'Ancien Régime voit coexister de nombreux ateliers monétaires répartis sur l'ensemble du territoire français. On compte ainsi plusieurs dizaines d'ateliers actifs sous Louis XIV. Cependant, dès le XVIIIe siècle, un mouvement de concentration s'amorce pour des raisons économiques et de rationalisation administrative.
La Révolution française accélère ce processus. De nombreux ateliers provinciaux sont fermés, et leur nombre continue à diminuer tout au long du XIXe siècle. Parmi les fermetures notables, on peut citer celles de Lille (1857), Strasbourg (1870 puis 1919), Marseille (1857), Lyon (1857), Perpignan (1837), Bayonne (1837), La Rochelle (1837), Limoges (1837), Nantes (1837), Toulouse (1837), Montpellier (1837), Poitiers (1772), Tours (1772), Troyes (1772), et bien d'autres.
L'atelier de Bordeaux, marqué de la lettre K, résiste plus longtemps que les autres ateliers provinciaux. Il continue de frapper des monnaies jusqu'en 1878, date à laquelle il cesse définitivement ses activités, laissant Paris comme unique atelier monétaire français pendant plusieurs décennies.
Le XXe siècle : Poissy, Beaumont et Castelsarrasin
Au XXe siècle, face aux besoins importants de production monétaire, notamment après les deux guerres mondiales, de nouveaux ateliers sont créés pour compléter ou remplacer temporairement celui de Paris. L'atelier de Poissy, installé dans les Yvelines, fonctionne au début du 20ème siècle pour la production de monnaies en France et pour les colonies. L'établissement de Beaumont-le-Roger, dans l'Eure, joue également un rôle dans la préparation de flans.

L'atelier de Castelsarrasin, dans le Tarn-et-Garonne, mérite une mention particulière. Créé en 1914 pour faire face aux besoins exceptionnels de la Première Guerre mondiale, il produit essentiellement des 1 franc et 2 francs semeuses. Cet atelier subsidiaire permet de décentraliser la production en période de crise et continue ses activités jusqu'en 1946, participant notamment à la fabrication des monnaies de l'après-Seconde Guerre mondiale en Bronze et en aluminium pour les type Morlon et Lavrillier.

Le transfert à Pessac : l'atelier monétaire moderne
En 1973, l'atelier monétaire quitte définitivement Paris et ses locaux historiques du quai de Conti pour s'installer à Pessac, en banlieue de Bordeaux. Cette délocalisation marque une rupture historique après des siècles de frappe monétaire parisienne. Le nouvel établissement, baptisé Monnaie de Paris - Atelier de Pessac, est équipé de machines modernes permettant une production industrielle de masse.
Cet atelier assure désormais l'intégralité de la production des pièces de monnaie françaises, puis européennes avec l'avènement de l'euro en 2002. Les pièces frappées à Pessac portent généralement la mention d'un différent de maître d'atelier ainsi que, pour les euros français, un identifiant national. La Monnaie de Paris conserve son siège historique sur le quai Conti, qui abrite désormais principalement les activités de frappe de médailles, de monnaies de collection et un musée.
Conclusion
L'histoire de l'identification des ateliers monétaires en France reflète l'évolution de l'organisation politique, administrative et économique du pays. Des attributions archéologiques approximatives des monnaies gauloises aux systèmes codifiés et industriels de l'époque contemporaine, les méthodes d'identification n'ont cessé de se perfectionner.
Cette évolution témoigne également de la volonté croissante des autorités émettrices de contrôler et de normaliser la production monétaire. Du système ingénieux du point secret de Charles VI aux lettres d'atelier toujours utilisées de nos jours, la numismatique française offre un panorama exceptionnel de l'histoire des techniques de marquage et d'authentification.
Pour le collectionneur ou le numismate, la maîtrise de ces différents systèmes d'identification constitue une clé essentielle pour dater, authentifier et évaluer les monnaies françaises. Elle permet également de retracer les grands mouvements historiques qui ont façonné le territoire et l'organisation administrative de la France à travers les siècles.
Article écrit par Thomas Pelissero le 10/11/2025