Les Ateliers Monétaires du Puy-de-Dôme : Histoire et Production Numismatique
Le Puy-de-Dôme se distingue par une riche tradition monétaire qui traverse plus de deux millénaires d'histoire. Des frappes gauloises aux émissions royales, trois ateliers majeurs ont marqué le territoire auvergnat : Corent, Clermont et Riom. Cet article propose une exploration détaillée de ces centres de production monétaire.
Les Frappes Gauloises Arvernes : L'Atelier de Corent
Une Découverte Archéologique Majeure
L'atelier monétaire gaulois de Corent constitue une découverte archéologique exceptionnelle, unique en France et même à l'échelle européenne. Les fouilles menées depuis le début des années 2000 sous la direction de Matthieu Poux, professeur d'archéologie à l'université Lumière-Lyon-II, ont révélé en 2024 l'emplacement précis d'un atelier de frappe monétaire au cœur de l'oppidum.

Le Site et son Importance
Situé sur le plateau de Corent, dans la vallée de l'Allier, cet oppidum s'étendait sur plus de 50 hectares et constituait la véritable capitale des Arvernes entre 120 et 50 avant notre ère, bien avant Gergovie. Le site abritait un sanctuaire monumental, une place de marché et plusieurs quartiers artisanaux, témoignant d'un urbanisme sophistiqué.

Les Vestiges de l'Atelier Monétaire
Les fouilles de 2024 ont permis de découvrir dans le quartier artisanal, à proximité de l'entrée du sanctuaire :
- Des poinçons : outils servant à frapper les coins monétaires
- Des chapelets de flans monétaires : petites rondelles de métal coulées en chaîne
- Des fragments de coins monétaires : dont un coin de droit portant la légende VERCA
- Une matrice cylindrique : présentant une esse couchée au-dessus d'un cheval, correspondant au revers du type BN 3868
- Une balance en bronze : intacte avec son fléau et ses deux plateaux
- Des outils métallurgiques : burins, ciseaux, limes
- Des pastilles en plomb : utilisées comme poids ou pour la fusion des alliages
- Un fond de creuset : dont l'analyse a révélé un alliage composé à 70% d'argent et 20% d'or
L'Atelier de Clermont : Du Monnayage Mérovingien à la Frappe Royale
La Période Mérovingienne (VIe-VIIIe siècle)
L'atelier de Clermont, alors désignée sous le nom d'Arvernis ou de la Civitas Arvernorum, a produit des monnaies dès l'époque mérovingienne. Des triens et deniers mérovingiens portant la légende CIVITAS ARVERNORVM témoignent de cette activité, bien que les informations sur les monétaires de cette période restent fragmentaires.

La Période Carolingienne (VIIIe-IXe siècle)
Sous les Carolingiens, l'activité monétaire se poursuit à Clermont. Charles le Chauve établit au milieu du IXe siècle huit hôtels des monnaies dont un à Clarus Mons (le "mont clair") avec une légende CLAROMINT très présente. Des deniers carolingiens frappés à Clermont-Ferrand sont attestés pour cette période. L'atelier aurait cependant cessé son activité pendant plusieurs dizaines d'années après cette période.

Le Monnayage Épiscopal (XIe-XIVe siècle)
L'Établissement du Droit de Frappe
Vers l'an 1000, Guillaume, comte d'Auvergne, octroya à l'évêque Rencon et au chapitre cathédral le droit de battre monnaie. Cette donation incluait :
- Le droit de recevoir les émoluments et profits de la frappe
- Le pouvoir de rendre justice dans l'enceinte de l'atelier
- La juridiction de la Cour de la Monnaie
- L'attribution de la première pièce d'or ou d'argent frappée chaque lundi à l'abbaye de Saint-André
Les Évêques-Monnayeurs
Le monnayage épiscopal débuta probablement sous Aimerie (1111-1150) ou Étienne VI de Mercœur (1151-1169), avec l'émission du célèbre denier à la Légende VRBS AVERNA.
Hugues de la Tour (1250-1286) reçut une remontrance d'Alphonse de Poitiers, frère de Saint-Louis, pour avoir affaibli le titre du monnayage, témoignant des tensions entre pouvoir épiscopal et autorité royale.
Adhémar de Cros vit son droit de battre monnaie confirmé par Philippe IV en 1295.
Aubert de Montaigu (1307-1328) fut le dernier évêque sous lequel la monnaie de Clermont est citée, en 1315. Selon l'ordonnance de cette année, le denier était taillé au 1/234 marc de Paris (1,045g) avec un titre de 3 deniers 16 grains (0,292) et une valeur de 13/12 deniers tournois.

Les Types Monétaires Épiscopaux
Le denier épiscopal de Clermont à la vierge le plus classique présente ces caractéristiques distinctives :
Avers :
- Buste drapé et couronné de la Vierge de face, quatre annelets dans le champ
- Légende : SEA° MARIA (Sainte Marie)
- Le "E" est en fait un C carré dont la barre verticale est barrée horizontalement pour former une croix
Revers :
- Croix simple cantonnée de quatre trèfles attachés ou de la lettre V
- Légende : VRBS° ARVERNA (Ville des Arvernes)
Ces deniers subirent plusieurs évolutions typologiques entre le début du XIIe siècle et 1315, date de la cessation de l'atelier épiscopal.
La Tour de la Monnaie
L'atelier épiscopal était installé dans la Tour de la Monnaie, qui surmontait la porte ouest de la cité. Cette tour carrée, crénelée sur deux niveaux et entourée de petites tours, abritait le maître des monnaies qui dirigeait la confrérie des monnayeurs. Une énorme arcade servait de passage à la rue. Lorsque l'activité monétaire déclina, la tour servit également de salle d'audience pour les tribunaux civil et ecclésiastique, ainsi que de prison.

Le Monnayage Royal à Clermont
Les Périodes d'Activité
Après la fermeture de l'atelier épiscopal en 1315, l'atelier royal de Clermont connut une seule périodes d'activité :
- 1591-1594 : Atelier royal pour Henri IV avec la lettre O doublé parfois ou avec une croisette au centre.
Organisation et Personnel
L'atelier royal de Clermont disposait d'une organisation hiérarchique stricte comprenant :
- Le Maître particulier : responsable de la direction de l'atelier
- Les Gardes et Contre-gardes : contrôleurs de la qualité
- Les Graveurs : artisans spécialisés dans la création des coins
- L'Essayeur : chargé de vérifier le titre des métaux
- Les Monnayeurs : ouvriers effectuant la frappe
- Les Ajusteurs : préparant les flans
- Le Prévôt : chef de la corporation des monnayeurs
On connait le maitre sur la période 1591-1594, c'est Charles Armand avec un différent Lys et un Graveur, Gilbert Armand avec un différent Trèfle, placé entre le D et le G de la légende
de 1792-1794 l’atelier de Clermont est ré-ouvert à titre de Succursale de Limoges (atelier temporaire révolutionnaire avec la marque I pointé).
L'Atelier de Riom : De la Frappe Féodale à l'Atelier Royal
La Période Féodale : Le Comté de Riom (XIIIe siècle)
Le Contexte Politique
Au début du XIIIe siècle, l'armée royale s'empare de la plus grande partie du comté d'Auvergne (1210-1213). Une Terre royale d'Auvergne se constitue, centrée sur la Limagne. En 1249, Louis IX donne cette terre en apanage à son frère Alphonse de Poitiers, qui fait de Riom sa capitale.

Le Monnayage d'Alphonse de Poitiers (1241-1271)
Alphonse de France, comte de Riom de 1241 à 1271, fit frapper des deniers à son nom dans l'atelier de Riom. Ces monnaies féodales présentent les caractéristiques suivantes :
Avers :
- Châtel (petit château) à fronton crénelé, orné de trois annelets ou besants
- Légende : ALFVNSVS COMES ou ANFOVRS COMES (avec N bouletée, S souchées)
- Variante : RIOMNENSIS avec châtel cantonné de deux croissants
Revers :
- Croix simple
- Légende : + DE RIOMENSIS ou + RIOMENSIS (avec point dans le O, parfois N annelée ou bouletée)
Ces deniers féodaux imitaient pour certains les deniers tournois royaux, témoignant de l'influence croissante de la monnaie royale. Le monnayage comtal n'eut qu'une existence limitée, contrairement aux émissions ecclésiastiques plus durables de l'évêché de Clermont.
L'Atelier Royal de Riom (XVIe-XVIIIe siècle)
Création et Périodes d'Activité
L'atelier royal de Riom fut créé en 1555 (ou 1550 selon certaines sources), prenant le relais de l'atelier de Moulins pour la Basse-Auvergne. Il fonctionna avec quelques interruptions jusqu'en 1772 :
- 1555-1591 : Première période d'activité continue
- 1591-1594 : Interruption (activité transférée temporairement à Clermont pour Henri IV)
- Reprise jusqu'à 1772 : fermeture définitive de l'atelier

La Lettre d'Atelier
L'atelier de Riom utilisait la lettre O comme marque distinctive, qu'il partagea avec :
- Saint-Pourçain (jusqu'en 1549)
- Moulins (1549-1555)
- Clermont (à partir de 1591-1594)
Organisation et Administration
L'atelier de Riom disposait d'une structure administrative complète, documentée notamment par les archives conservées :
Les Officiers Principaux :
- Le Directeur (anciennement Maître particulier)
- Les Juges-gardes
- Le Contrôleur-contregarde
- L'Essayeur
- Les Graveurs
Les Ouvriers :
- Les Monnayeurs (responsables de la frappe proprement dite)
- Les Ajusteurs (préparation et calibrage des flans)
- Les Tailleresses (femmes chargées du découpage et de la finition)
Les Graveurs de l'Atelier de Riom
Les graveurs jouaient un rôle capital dans la production monétaire. À Riom, les archives mentionnent notamment :
Jacques Villat et Jean Villat : Les documents d'archives (série F1, 33) attestent que l'office de graveur fut confié à ces deux artisans, probablement père et fils ou frères, illustrant le caractère souvent héréditaire de cette charge.
Les graveurs de Riom devaient :
- Créer les coins monétaires à partir de poinçons reçus de Paris (après 1547)
- Ajouter la lettre d'atelier et le millésime
- Apposer leur propre différent (signature personnelle) à partir du règne de Louis XIII
- Entretenir et conserver les poinçons, véritables patrimoine technique transmis de génération en génération
Voici une liste des graveurs connus :
| Graveur | Date | Différents |
| Jean des Rues | 1558 | - |
| Jacques Berthet | 1559-1596 | Croissant |
| Jean Langhac | 1569-1587 | Coeur Navré |
| Isaac Faure | 1587-1588 | Rose |
| Jean de Montaldon | 1590 | - |
| Nicolas faure | 1592-1594 | Trèfle |
| Gilbert Armand | 1595-1602 | Tête de lion |
| - | 1652-1692 | fleu, rond et Lune |
| Jean Villa | 1692-1744 | Trefle |
| Jacques Dapsol | 1747 | Trefle |
Et une liste des maitres :
| Maitre | Date | Différent |
| Antoine Bonnefond | 1556-1563 | Tête de cerf |
| Michel Daurat | 1563-1565 | Etoile |
| Michel Daurat | 1566 | M |
| Vincent Favre | 1567 | Flamme |
| Gabrielle Dunant | 1568 | Couronne |
| Antoine I Chambige | 1569-1570 | Flamme |
| Francois Duclos | 1571-1572 | Monde |
| Gilbert Blant | 1572 | |
| Loys Terrier | 1572-1573 | Coeur |
| Michel Daurat | 1573 | Etoile |
| Antoine I Chambige | 1574-1577 | |
| Antoine II Chambige | 1577-157 | |
| Sebastien de Lartessut | 1578-1581 | L |
| Antoine II Chambige | 1581-1588 | Monde |
| Amable Chaptard | 1589-1594 | AC |
| Antoine II Chambige | 1594 | Monde |
| Michel Armand | 1594-1597 | Croissant |
| Antoine II Chambige | 1598-1599 | Monde |
| Jean Frenaye | 1601-1602 | +F+ ou F |
| P. Rousset | 1652 | Gland |
| Frivelet de Villemont | 1691 | Soleil |
| N. Carlet | 1701-1719 | gland long |
| N. Carlet | 1710-1719 | Lozange |
| F. Bardeau | 1719-1723 | Fleur |
| Coste Dumesnil | 1723-1760 | Feuille |
| C Legat | 1760-1766 | feuille |
L'Hôtel des Monnaies de Riom
L'Hôtel des Monnaies de Riom, situé dans la rue du même nom, date de 1719-1724 d'après les plans conservés. Ce bâtiment abritait :
- Les ateliers de frappe
- Les logements de fonction des officiers
- Les salles de contrôle et d'essai
- Les réserves de métaux précieux
Privilèges et Statut :
Les officiers et ouvriers de la Monnaie de Riom bénéficiaient de privilèges importants :
- Exemptions de tailles et corvées (confirmées par les ordonnances de 1719 et 1760)
- Juridiction spéciale de la Cour des Monnaies
- Droits héréditaires pour les charges d'officiers
- Protection royale
Les documents d'archives (1662-1788) conservent les lettres patentes portant privilèges de monétaires, confirmations de charges, liquidations d'offices, et correspondances sur la gestion de l'atelier.
Conclusion
Les ateliers monétaires du Puy-de-Dôme témoignent d'une tradition numismatique exceptionnelle s'étendant sur plus de deux millénaires. De l'atelier gaulois de Corent, découverte archéologique majeure révélant la sophistication du monnayage arverne, aux ateliers médiévaux et modernes de Clermont et Riom, le département a joué un rôle important dans l'histoire monétaire française.
Corent illustre la puissance économique des Arvernes et leur maîtrise des techniques monétaires dès le IIe siècle avant notre ère. Clermont, avec son long monnayage épiscopal du XIe au XIVe siècle, représente l'affirmation du pouvoir ecclésiastique. Riom, enfin, incarne l'intégration progressive de l'Auvergne au système monétaire royal.
Quelques liens :
Nos monnaies féodales d'Auvergne
Article écrit par Thomas Pelissero le 17/11/2025
Par antoine 21/11/2025 18:04:24
très intéressant, merci