La décolonisation monétaire progressive, l'exemple des antilles néerlandaises

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L'évolution de la Monnaie aux Antilles Néerlandaises

Faisons d'abord un tour historique et géographique des Antilles Néerlandaises

Les Antilles néerlandaises désignent un ensemble d'îles des Caraïbes qui furent longtemps liées à la Couronne des Pays-Bas. Géographiquement, ces territoires se divisent en deux groupes distincts : les îles ABC (Aruba, Bonaire et Curaçao) situées au large des côtes vénézuéliennes dans la mer des Caraïbes méridionale, et les îles du nord (Sint Maarten, Saba et Sint Eustatius) qui font partie de l'arc des Petites Antilles, à environ 900 kilomètres au nord-est.

Sur le plan historique, ces îles furent conquises par les Néerlandais au XVIIe siècle, arrachées progressivement à l'Espagne entre 1630 et 1640. Elles devinrent rapidement des comptoirs commerciaux stratégiques pour la Compagnie néerlandaise des Indes occidentales, servant de plaques tournantes pour le commerce triangulaire, le sel et les épices. Administrativement regroupées sous l'entité des "Antilles néerlandaises" en 1954 avec un statut d'autonomie au sein du Royaume des Pays-Bas, cette fédération fut dissoute le 10 octobre 2010. Aujourd'hui, Aruba (indépendante depuis 1986), Curaçao et Sint Maarten sont devenus des pays constitutifs du Royaume, tandis que Bonaire, Saba et Sint Eustatius ont le statut de municipalités spéciales néerlandaises. Malgré cette fragmentation administrative, ces îles partagent un héritage commun, notamment dans le domaine monétaire.

Les Premières Monnaies

Les Antilles néerlandaises ont connu une histoire monétaire fascinante qui débute avec la colonisation hollandaise au XVIIe siècle. À cette époque, les îles de Curaçao, Bonaire, Aruba, Saint-Eustache, Saba et la partie néerlandaise de Saint-Martin formaient un archipel stratégique pour le commerce maritime.

L'ère des monnaies espagnoles et le système des pièces coupées

Dans les premières décennies de la présence néerlandaise, il n'existait pas de monnaie spécifique aux Antilles. Les transactions commerciales s'effectuaient principalement avec des pièces espagnoles, notamment le réal espagnol et le célèbre "pièce de huit", qui circulait dans toute les Caraïbes. Ces pièces d'argent étaient parfois littéralement coupées en morceaux pour créer de la petite monnaie qu'on appelle aujourd'hui "Moco", attention ces monnaies sont rares et doivent impérativement être expertisées.

La Compagnie néerlandaise des Indes occidentales (West-Indische Compagnie ou WIC), qui administrait les territoires, tolérait également la circulation de diverses monnaies européennes : florins néerlandais, livres sterling, et autres devises coloniales françaises et portugaises. Ce système hétéroclite reflétait la nature cosmopolite du commerce caribéen.

Les premières frappes locales au XVIIIe siècle

Ce n'est qu'au XVIIIe siècle que les autorités coloniales néerlandaises commencèrent à envisager une monnaie propre aux Antilles. Les premières tentatives restaient modestes et irrégulières. La question monétaire devint plus pressante avec le développement du commerce du sel, de la traite des esclaves et des plantations de canne à sucre, qui nécessitaient un système d'échange plus stable et standardisé.

L'Évolution du Système Monétaire

La naissance du florin des Antilles néerlandaises (1828-1940)

Le véritable tournant monétaire intervint en 1828 avec l'introduction officielle du florin des Antilles néerlandaises (gulden), aligné sur le florin néerlandais. Cette monnaie coloniale fut créée pour unifier les pratiques commerciales et remplacer progressivement le chaos monétaire des décennies précédentes. Les premières pièces frappées portaient l'effigie du roi Guillaume Ier des Pays-Bas et affichaient des valeurs en cents et en florins.

Durant le XIXe siècle, le système monétaire se stabilisa progressivement. La Banque des Antilles néerlandaises ne fut cependant créée qu'en 1828, mais son rôle resta limité pendant plusieurs décennies. Les pièces de monnaie circulaient aux côtés de billets de banque émis localement, bien que leur acceptation fut parfois contestée par les marchands qui préféraient les pièces métalliques, perçues comme plus sûres.

Le florin des Antilles néerlandaises moderne (1940-2010)

L'occupation des Pays-Bas par l'Allemagne nazie en 1940 marqua un tournant décisif. Les Antilles néerlandaises, restées libres sous protection britannique puis américaine, durent gérer leur système monétaire de manière autonome. C'est à cette période que fut créée en 1942 la Banque centrale de Curaçao (Bank van de Nederlandse Antillen), qui devint l'autorité monétaire officielle de l'archipel.

En décembre 1940, un nouveau florin des Antilles néerlandaises (NAf ou ANG) fut officiellement institué, avec un taux de change fixe par rapport au dollar américain établi à 1,79 NAf pour 1 USD (plus tard ajusté à 1,80). Ce choix stratégique reflétait l'importance croissante des États-Unis dans la région, notamment avec le développement de l'industrie pétrolière à Curaçao et Aruba. La stabilité de cette parité, maintenue pendant plus de sept décennies, fit du florin antillais l'une des monnaies les plus stables de la Caraïbe.

Les billets et pièces modernes arboraient des motifs locaux : flamants roses, architecture coloniale de Willemstad, et symboles des différentes îles. Le système monétaire fonctionna de manière intégrée jusqu'à la dissolution de la fédération des Antilles néerlandaises en 2010.

L'indépendance monétaire progressive des îles

Curaçao : centre historique de l'émission monétaire

Curaçao occupa toujours une position centrale dans l'histoire monétaire des Antilles néerlandaises, bien avant la dissolution de 2010. Dès le XIXe siècle, l'île servit de pivot économique et administratif de l'archipel, grâce à son port naturel exceptionnel et à la ville fortifiée de Willemstad, devenue capitale coloniale.

La création de la Bank van de Nederlandse Antillen en 1942, basée à Willemstad, consacra Curaçao comme siège de l'autorité monétaire. Tous les billets de banque des Antilles néerlandaises furent dès lors émis depuis Curaçao et portaient souvent des représentations emblématiques de l'île : les façades colorées du quartier Punda, le pont flottant Reine Emma (Koningin Emmabrug), ou encore le Fort Amsterdam. Les différentes séries de billets émises entre 1940 et 2010 reflétaient cette prépondérance curacao-centriste, même si certaines émissions ultérieures tentèrent d'intégrer des éléments visuels représentant les autres îles de la fédération.

La fragmentation politique des Antilles néerlandaises eut des répercussions monétaires importantes, chaque territoire devant choisir sa voie.

Aruba fut la première île à prendre son indépendance monétaire. Lorsqu'elle se sépara des Antilles néerlandaises le 1er janvier 1986 pour devenir un pays constitutif du Royaume, elle créa immédiatement sa propre monnaie : le florin arubais (AWG). La Centrale Bank van Aruba fut établie comme banque centrale indépendante. Le florin arubais adopta une parité fixe avec le dollar américain identique à celle de l'ancien florin antillais (1,79 AWG pour 1 USD), assurant une transition en douceur. Les billets arubais se distinguent par leurs couleurs vives et leurs représentations de la faune et flore locales, notamment l'aloe vera et le divi-divi, arbre emblématique de l'île.

Curaçao et Sint Maarten, devenus pays constitutifs du Royaume le 10 octobre 2010, continuèrent d'utiliser le florin des Antilles néerlandaises, rebaptisé florin caribéen (ou florin de Curaçao et Saint-Martin). La Banque centrale de Curaçao et Saint-Martin (CBCS) remplaça l'ancienne Bank van de Nederlandse Antillen pour gérer cette monnaie commune. Le code ISO devint XCD, puis finalement ANG fut conservé. Cette union monétaire entre deux îles géographiquement éloignées de près de 900 kilomètres reflète leur héritage commun et leur volonté de maintenir une certaine cohésion économique, Si la série de billet de 2024 est commune aux 2 iles les pièces métalliques sont elles différentes.

Sint Maarten présente une particularité unique : bien que le florin caribéen soit la monnaie officielle de la partie néerlandaise, le dollar américain est largement accepté et même préféré dans les transactions quotidiennes. Cette situation s'explique par la frontière ouverte avec la partie française de l'île (Saint-Martin), qui utilise l'euro, et par la forte présence touristique américaine. Dans la pratique, trois monnaies circulent donc simultanément sur cette petite île de 34 km².

Les trois municipalités spéciales (Bonaire, Saba et Sint Eustatius), intégrées directement aux Pays-Bas en 2010, abandonnèrent le florin antillais pour adopter le dollar américain comme monnaie officielle, reconnaissant ainsi la réalité économique de leur dépendance vis-à-vis du marché américain et du tourisme.

Synthèse : Les Monnaies Actuelles des Anciennes Antilles Néerlandaises

La situation monétaire actuelle des territoires néerlandais de la Caraïbe reflète leur diversité statutaire et leurs orientations économiques distinctes. Voici un récapitulatif par île :

Pays constitutifs du Royaume des Pays-Bas :

  • Aruba : Florin arubais (AWG) depuis 1986, avec une parité fixe de 1,79 AWG pour 1 USD. Gestion par la Centrale Bank van Aruba.
  • Curaçao : Florin caribéen (ANG) depuis 2010, anciennement florin des Antilles néerlandaises. Parité fixe de 1,79 ANG pour 1 USD. Gestion partagée avec Sint Maarten via la Banque centrale de Curaçao et Saint-Martin (CBCS).
  • Sint Maarten : Florin caribéen (ANG) officiellement, mais le dollar américain (USD) et l'euro (EUR) circulent largement dans la pratique quotidienne en raison de la proximité avec la partie française et du tourisme.

Municipalités spéciales des Pays-Bas (îles BES) :

  • Bonaire : Dollar américain (USD) depuis le 1er janvier 2011, remplaçant le florin antillais lors de l'intégration administrative aux Pays-Bas.
  • Saba : Dollar américain (USD) depuis le 1er janvier 2011, pour les mêmes raisons que Bonaire.
  • Sint Eustatius : Dollar américain (USD) depuis le 1er janvier 2011, alignement sur le statut des autres municipalités spéciales.

Cette mosaïque monétaire illustre parfaitement la complexité des relations entre ces territoires et le Royaume des Pays-Bas, ainsi que leur intégration variable dans les sphères économiques américaine et européenne, un cas d'école de décolonisation progressive ou cela est fait de façon à laisser chaque pays le faire à son rythme avec une garantie de la monnaie par les Pays bas.

Quelques liens pour retrouvez ici nos monnaies :

Et les billets :

Article écrit par Thomas Pelissero le 06/10/2025

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